Les schémas
Sélection adverse et hasard moral dans « Lemons Market theory« (Akerlof, 2003)
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Relations d’agence et asymétrie d’information dans le système de santé (Marie Houssel. 2003)
Définition des principaux concepts
C’est à partir de la reconnaissance de l’information imparfaite sur un marché que les théories des contrats se sont développées depuis les années 70: les théories économiques des contrats et de l’agence développées ici, mais voir aussi la théorie plus organisationnelle des Coûts de transactions.
- E. Brousseau et J-M Glachant (2000) parlent d’une « économie des contrats » et d’un virage dans la pensée économique autour de la problématique posée par Ronald Coase: si les marchés sont « purs et parfaits », pourquoi donc existe-il des entreprises et non pas seulement des marchés? (voir Coase 1988).
- B. Coriat et O. Weinstein (2010) parlent d’une vision de la firme comme un « noeud de contrats » (et qu’ils opposent alors à une autre vision, celle d’un « noeud de compétences » autour de la Théorie des Ressources).
1. Les théories des contrats et l’asymétrie d’information
Les différentes théories des contrats sont en tout cas des théories de l’information imparfaite et on y décrit le plus souvent (sauf pour les contrats dits incomplets, voir Brousseau et Glachant 2000) deux asymétries d’information possibles :
– avant le contrat, il peut y avoir des informations cachées (situation dite de « sélection adverse »). Le marché des voitures d’occasion est ici typique : seul le vendeur connaît la qualité véritable du véhicule avant de signer le contrat de vente. C’est en 1970 et sur ce marché des « tacots » (qu’on appelle des « citrons » en anglais, Lemons Market theory ) que G. Akerlof a fondé le champ de recherche sur les contrats (voir Akerlof 2003), même si son analyse théorique l’oblige à prédire… la disparition à terme de tout ce marché de l’occasion : en théorie les voitures de qualité devraient disparaitre du marché, puisqu’elles ne pourront être vendues qu’au prix moyen (voir The Theory of the Lemon Markets in IS Research, dans l’ouvrage Information Systems Theory). G. Akerlof a reçu le Prix de la banque de Suède « en mémoire d’Alfred Nobel ».
– après le contrat, il peut y avoir aussi des informations cachées (situation dite de « risque moral »). Le contrat d’assurance est ici typique : l’assureur ne peut pas complètement contrôler le comportement opportuniste voir amoral de l’assuré après le contrat. Voir Dionne (1981), qui donne une idée de la complexité du problème quand on s’en tient aux axiomes classiques sur les fonctions d’utilité fondant le modèle standard de la théorie économique.
Bien que les théories des contrats reposent sur l’opportunisme dans ces situations d’asymétries d’information, G. Akerlof (1982) considère que le contrat de travail a aussi une dimension de réciprocité : bien sûr le salarié rend un service (une prestation sous certaines conditions) en échange d’un prix (salaire et ses dérivés), mais dans la pratique le salarié produit souvent un effort supérieur aux normes exigées, il fait un « don partiel » à l’entreprise. En contrepartie il peut y avoir contre-don de la part de l’entreprise, à d’autres temps et sous différentes manières : individuellement par des promotions, des opportunités, ou collectivement par une reconnaissance du travail, une autonomie, des mobilités… (voir La théorie du don / contre-don).
2. Les relations d’agence, en contexte individualiste: les mandants et les mandataires, D. Jensen – W. Meckling
Dans ces situations d’asymétrie d’information, la théorie de l’agence s’est alors développée à partir de 1976 avec l’article fondateur de D. Jensen et W. Meckling (1976).
Dans une « relation d’agence », une personne (le principal, ou le mandant) passe un contrat avec une autre personne (l’agent, ou le mandataire) pour exécuter en son nom une tâche qui implique une délégation du pouvoir de décision : par exemple un propriétaire qui confie la vente de son bien à un agent immobilier, mais ici et surtout des actionnaires qui confient la gestion de « leur » entreprise à des dirigeants, voir Charreaux (1999).
Il faut alors définir les formes du contrat qui pourront limiter l’opportunisme de l’agent (le mandataire n’est pas ici considéré comme pouvant être opportuniste). Avec toujours l’hypothèse que chacun veut maximiser sa propre utilité, l’asymétrie d’information engendre un contrôle nécessaire et donc des coûts d’agence qu’il faut chercher à minimiser : des coûts de surveillance et des dépenses d’incitation pour le principal mandant, des coûts de justification pour l’agent mandataire, et enfin des coûts dits résiduels (voir ce lien sur Wikipédia et cette bonne vidéo sur Xerfi-Canal).
La théorie de l’agence est une théorie des incitations à respecter le contrat. Des comportements de maximisation très sophistiqués, et l’extension du modèle à des multi-principaux et/ou des multi-agents, conduisent à imaginer des formes de contrats complexes (voir Magnan de Bornier 2004), mais qui n’ont pas toujours d’implications pratiques. La théorie de l’agence a pourtant eu un impact considérable dans toute la financiarisation de l’économie, en justifiant de nouvelles pratiques autour des contrats qui doivent protéger la « valeur actionnariale » : rémunérations des dirigeants par stock-options, titrisation des créances, délits d’initiés, rachat d’actions par l’entreprise, risques d’OPA, licenciements par signal boursier, indicateurs comptables des bénéfices résiduels…
3. Les relations d’agence, en contexte collectif: la théorie de l’intendance, Davis – Schoorman – Donaldson
En s’opposant au modèle dominant de la théorie de l’agence (fondée uniquement sur des comportements individualistes et opportunistes) la théorie de l’intendance (stewardship theory) s’est développée à partir des propositions de Davis, Schoorman et Donaldson (1997).
En prenant en compte la complexité de l’action humaine, on considère ici l’agent comme une personne de confiance cherchant avant tout l’intérêt collectif et celui de son organisation (voir Théories de la motivation). Les managers peuvent donc travailler dans l’intérêt de leur organisation et des actionnaires, même quand cela peut être en contradiction avec leur intérêt personnel. On met alors en évidence l’intérêt d’une intégration des structures de contrôle et des structures de confiance. Voir Madison (2003) sur la performance dans les entreprises familiales, voir Le Tian et Venard (2012) sur les choix d’investissements dans des contextes culturels différents en France et en Chine.
4. Théories des contrats et management des systèmes d’information
D’assez nombreuses recherches en SI font appel aux concepts, sinon aux équations, des théories des contrats (voir le site ISTheory et voir surtout le chapitre 11 de l’ouvrage IS Theory) : asymétrie d’information, mandataire et agent, sélection adverse et risque moral, opportunisme et incertitude, coûts de surveillance et coûts de justification :
- soit des recherches qualitatives dans le domaine du développement des SI, mais où il ne s’agit que de « se placer dans la perspective » des contrats pour analyser le rôle des asymétries d’information, comme par exemple Bahli et Rivard (2003) dans l’analyse des risques d’une externalisation des systèmes informatiques, Rochaix (1997) et Houssel (2003) dans l’analyse des stratégies des acteurs du système de santé ;
- soit, plus récemment, des recherches quantitatives dans le domaine Marchés et TI, où il s’agit de tester des modèles de comportement sur les nouveaux marchés en ligne (asymétrie d’information et opportunisme), comme par exemple Hong et Pavlou (2014).
- voir aussi une vision beaucoup plus partenariale des contrats, dans la Théorie des parties prenantes et l’analyse de D. Cazal (2011) sur « parties prenantes, parties contractantes » ;
- enfin la mise en œuvre de contrats par des agents économiques ne peut se construire que dans le cadre de mécanismes de coordination et donc de dispositifs « institutionnels » plus informels et plus collectifs (qui ne se réduisent pas à une simple rationalité calculatoire), c’est le fondement de la Théorie des conventions.
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Voir les autres théories utilisées dans le contrôle des S.I.
Voir la carte générale des théories en management des S.I.
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REFERENCES
R. Coase (1988), La firme, le marché et le droit, Note de lecture des étudiants MIP du Cnam
G. Akerlof (2003), Writing the “The Market for Lemons’”: A Personal and Interpretive Essay, The Official Web Site of The Nobel Foundation
G. Akerlof (1982), Labor Contracts as Partial Gift Exchange, The Quarterly Journal of Economics 97 (4)
M. Jensen, W. Meckling (1976), Theory of the firm: Managerial behavior, agency costs and ownership structure, Journal of Financial Economics, vol 3, issue 4
Davis, J., Schoorman, F., Donaldson, L. (1997). Toward a Stewardship Theory of Management. The Academy of Management Review, 22(1), 20-47.
E. Brousseau, J-M Glachant (2000), Introduction : Économie des contrats et renouvellements de l’analyse économique, Revue d’économie industrielle, vol. 92
B. Coriat, O. Weinstein (2010), Les théories de la firme entre contrats et compétences, Revue d’économie industrielle 129-130
G. Dionne (1981). Le risque moral et la sélection adverse : une revue critique de la littérature. L’Actualité économique, 57(2)
G. Charreaux (1999), La théorie positive de l’agence : positionnement et apports, document de travail
J. Magnan de Bornier (2004), La théorie de l’agence et les contrats optimaux, document de travail
Le Tian, C., Venard, B. (2012). Pour une approche contingente de la gouvernance. Management international 16 (2), 25–38
K. Madison (2003), Agency Theory and Stewardship Theory Integrated, Expanded, and Bounded by Context. PhD University of Tennessee
Houssel (2003), La tarification à la pathologie en soins de suite et de réadaptation, Mémoire ENSP
L. Rochaix (1997), Asymétries d’information et incertitude en santé : les apports de la théorie des contrats, Économie & prévision, 3-4
B. Bahli, S. Rivard (2003), The information technology outsourcing risk : a transaction cost and agency theory-based perspective, Journal of Information Technology 18
Y. Hong, P. Pavlou (2014), Product Fit Uncertainty in Online Markets: Nature, Effects, and Antecedents, Information Systems Research Vol. 25, No. 2
D. Cazal (2011), RSE et théorie des parties prenantes : les impasses du contrat, Revue de la régulation 1er semestre
Voir sur le site IS Theory une liste de références en SI qui utilisent ces théories :