Les schémas
.1. Le Slack organisationnel opposé au Lean Management
2. Les relations entre Slack et efficacité (Rahroani et Pinsonneault 2011)
Définition des principaux concepts
D’un point de vue opérationnel disposer de Slack c’est disposer de ressources en excès, ce qui apparaît évidemment comme un gaspillage pour les tenants d’une organisation « optimale ». En 1956 l’article fondateur de Richard Cyert et James March (voir les liens en références) a permis de considérer le Slack organisationnel comme un véritable concept. De nombreuses études ont alors montré pourquoi et comment un certain niveau de Slack pouvait aussi favoriser la performance organisationnelle.
1. Le Slack par rapport à son opposé, le Lean Management
« Se garder quelques marges de manœuvre », « En avoir un peu sous le coude »… on voit que le langage courant intègre l’idée de Slack (littéralement l’idée de « mou ») . Pour la plupart des théories des organisations, le Slack est pourtant considéré comme une incongruité. Pour la Théorie de l’agence par exemple, si le mandant dispose d’un Slack c’est par opportunisme et grâce à une asymétrie d’information vis-à-vis du mandataire : un problème qui doit alors se résoudre par un « contrat » bien adapté provoquant les incitations nécessaires à l’optimisation. Dans la Méthode des coûts cachés (Cappelletti et al. 2018) les dysfonctionnements sont ainsi présentés comme sur-salaire, sur-temps, sur-consommation, non-production… mais on ne se pose pas la question de performances potentielles qui seraient liées à des « ressources cachées ».
Dans les faits, les pratiques du Slack s’opposent ainsi aux pratiques du Lean management (voir le schéma 1 ci-dessus) :
- les mots-clés du Lean management (littéralement le management « sans gras ») sont clairs : flux tendus, dégraissage, surcoûts, juste à temps, rendement, agilité, reconfiguration des processus… à la recherche d’une efficience optimale par une chasse au gaspillage, dans une vision dérivée de l’OST Organisation Scientifique du Travail et d’une radicalité dans la nature du changement (voir Changer les paramètres ou changer de système?);
- à l’opposé, les mots-clés du Slack (littéralement le « mou » ou le « relâché ») sont tout aussi clairs : matelas, amortisseur, élasticité, marges de manoeuvre… à la recherche d’une efficacité satisfaisante par un arrangement négocié des besoins et des ressources, donc dans une vision qui serait proche d’un déséquilibre acceptable dans les Modèles Besoins/Ressources en capacités d’organisation.
2. Le Slack organisationnel, un concept théorique
Au départ R. Cyert et J. March (voir les liens en références) ont introduit le concept le concept de Slack organisationnel pour expliquer la différence constatée entre profit acceptable et profit maximum dans une situation d’oligopole. Les deux piliers sont alors:
- la Théorie des ressources (où l’objectif n’est pas la réduction de ressources excédentaires mais l’arrangement de ressources distinctives grâce à des capacités organisationnelles) : « En règle générale, l’entreprise n’examine pas toutes les alternatives possibles avant d’élaborer ses plans. La fonction de planification est satisfaite lorsqu’un programme qui semble réalisable peut être conçu. Il est certainement clair, par exemple, que tous les cadres ne sont pas évalués à chaque session de planification pour déterminer si une amélioration peut être apportée (Cyert et March page 54).
- et la Théorie politique de la décision de Cohen, March et Olsen où, dans des « anarchies organisées », une coalition de différents groupes aux intérêts multiples négocient des arbitrages provisoires pour des résultats considérés comme « satisfaisants » ): « les activités qui représentent un Slack à un moment donné peuvent représenter des coûts nécessaires à un autre, et l’une des tactiques du contrôle de gestion est la manipulation des perceptions détenues en tenant compte de l’état de l’organisation ».
La « firme » est une coalition de groupes (salariés, managers, actionnaires, mais aussi fournisseurs et clients), le processus de prise de décision passe donc nécessairement par des médiations et des négociations implicites (March 1999, en français):
- les managers sont dans un jeu permanent de révisions des objectifs, pour lesquels ils prévoient un « budget discrétionnaire » qui permet de conduire les négociations internes et d’assurer la cohésion nécessaire ;
- les salariés peuvent alors être dans une « zone d’acceptation », qui renforce le sentiment d’appartenance, le sens des responsabilités et les performances.
3. Efficience ou efficacité? Comment un Slack organisationnel peut améliorer les performances
L’efficacité consiste à atteindre au final son objectif, l’efficience c’est de le faire avec une économie des moyens engagés. Si le Slack est un « relâchement organisationnel sur les moyens », cela se traduit bien sûr par une perte d’efficience et bien sûr par un coût. Mais peut-on affirmer que ce coût est toujours superflu et illégitime et qu’il faudrait systématiquement chercher à l’annuler ?
On peut d’abord donner de nombreux contre-exemples:
- L. Puech (2017) cite l’exemple de Google avec le Slack « 20 % de temps libre » : une journée par semaine réservée aux ingénieurs pour qu’ils prennent leur temps dans leurs projets innovants avec leurs collègues volontaires. Et dans sa thèse (Theses.fr 2014) Lucie Puech analyse l’exemple d’Engie, qui incite les innovateurs prendre sur leur temps de travail pour développer leurs activités intra-entrepreneuriales (l’Intraprenariat);
- dans la gestion des investissements en Technologies d’Information, Y. Rahroani et A. Pinsonneault (2011) citent de nombreux cas où les entreprises ont bien conscience d’un équilibre à trouver entre Slack et efficience (voir le schéma 2 ci-dessus) et dans Rahroani et Pinsonneault (2014) ils développent un modèle qui relie la perception du Slack et les conditions de l’innovation par les T.I.
Deux questions ont alors alors posées dans de nombreuses recherches : comment mesurer le coût du Slack ? Et dans quelles situations un Slack organisationnel peut-il améliorer les performances ?
- dès 1996, Nohria et Gulati (1997) avaient montré que la relation entre Slack et innovation prenait la forme d’une courbe en cloche : le Slack a un effet positif jusqu’à un certain point ;
- dans le secteur hospitalier, Bourgeon et Demil (1999) avaient montré que le Slack autorise la poursuite de projets organisationnels innovants ;
- Claveau et al. (2013) montrent que Slack financier (capacité d’endettement ou rotation des actifs) influence positivement l’entrée en croissance des PME ;
- David (2012) fait une analyse longitudinale sur le Slack dans les dépenses d’investissements d’une grande entreprise industrielle : Slack négocié, Slack non consommé, Slack résiduel ;
- Donada et Dostaler (2005) définissent le Slack relationnel comme résultat de l’exploitation de surcapacités productives, organisationnelles ou relationnelles, rendant possible la création d’une marge de liberté vis-à-vis d’un partenaire d’échange externe dominant ;
- sur les performances financières, Chiu et Liaw (2009) montrent que l’impact bénéfique du Slack est différent suivant le type de stratégies : intégration, diversification, recherche et développement.
Voir les autres théories utilisées dans les stratégies S.I.
Voir la carte générale des théories en management des S.I.
RÉFÉRENCES
.R. Cyert, J. March, le titre en français « Les facteurs organisationnels dans la théorie de l’oligopole ». Publié en 1956 dans une revue internationale
lien1 ou lien2 ou lien3 ou ResearchGate ou Pdf
J. March (1999), Les mythes du management. Conférence à l’Ecole des Mines de Paris, Gérer et Comprendre, Sept. 1999
Y. Rahrovani, A. Pinsonneault (2011), On the Business Value of Information Technology: A Theory of Slack Resources, chapitre 9 dans l’ouvrage Information System Theories
liens vers l’ouvrage
Y. Rahrovani, A. Pinsonneault (2014), User’s perceived is slack resources and their effects on innovating with IT, International Conference on Information Systems, Auckland
L. Puech (2017), Laisser ses salariés « prendre du temps » pour favoriser l’innovation dans les organisations,The conversation
L. Bourgeon, B. Demil (1999), Slack organisationnel et Innovation : application au secteur hospitalier public, Congrès AIMS mai 1999
A. Gintrac (2012), Origine et maîtrise du slack. Gestion 2000, volume 29(4)
C. Donada, I. Dostaler (2005), Fournisseur, sois flexible et tais-toi ! Revue française de gestion, Vol 5 n°158
G. David (2012), Contribution à l’étude du slack organisationnel : le cas des dépenses d’investissements dans une grande entreprise industrielle, Revue des Sciences de Gestion, n° 254
N. Claveau, M. Perez, I. Prim-Allaz, C. Teyssier (2013), Slack financier et forte croissance dans la PME, Revue de l’Entrepreneuriat, Vol. 12 n°1
L. Cappelletti, O. Voyant, H. Savall (2018), Quarante ans après son invention : la méthode des coûts cachés, Congrès ACCRA 2018
YC Chiu, YC Liaw (2009), Organizational slack: is more or less better? Journal of Organizational Change
B. Dehning, K. Dow, T Stratopoulos (2004), Information technology and organizational slack, International Journal of Accounting
N. Nohria, R. Gulati (1996), Is Slack Good or Bad for Innovation? The Academy of Management Journal, Vol. 39, No. 5
Voir aussi sur le site IS Research des références utilisant cette théorie