Les schémas
Les phases de la diffusion d’une innovation (in I. Sahin 2006)
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La courbe en S, d’après www.actinnovation.com
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Définition des principaux concepts
Everett Rogers définit l’innovation comme « le processus par lequel une innovation est communiquée, à travers certains canaux, dans la durée, parmi les membres d’un système social » (voir Rogers 1995). Le modèle de la diffusion des innovations, qui est à la fois souvent critiqué et souvent utilisé, définit les éléments qui agissent sur la rapidité avec laquelle une innovation est adoptée dans un groupe social. On ne s’intéresse pas ici aux conditions ou aux modalités de la création d’une innovation (pour ce niveau voir les approches plus collaboratives de l’innovation en réseau ou les les approches plus stratégiques de l’onnovation de rupture ) : ici l’innovation elle-même est achevée et on explique comment elle peut alors se diffuser auprès des utilisateurs, un peu comme une sorte d’épidémie.
1. Les phases de l’adoption par les utilisateurs
Au niveau des individus, le déroulement de l’adoption dans le temps est ici décomposé en cinq phases (voir schéma ci-dessus):
- la connaissance : l’individu est exposé à l’innovation, il réagit en fonction son profil personnel et du système social dans lequel il évolue;
- la PERSUASION : c’est l’étape cruciale du modèle de E. Rogers, celle où l’individu amorce une prise de position au sujet de l’innovation, il réagit ici en fonction de cinq grandes caractéristiques de l’innovation (voir plus bas) ;
- la décision : l’individu s’engage dans des activités d’utilisation/évaluation, lui permettant d’adopter ou de rejeter l’innovation ;
- l’implantation , où l’individu a besoin d’assistance pour réduire les incertitudes sur les conséquences;
- la confirmation : l’individu tente d’obtenir des informations venant, a posteriori, renforcer son choix.
Le modèle met surtout l’emphase sur la phase cruciale de la PERSUASION, au cours de laquelle cinq principaux attributs définissent les caractéristiques perçues d’une innovation :
- son avantage relatif en terme économique et social;
- sa compatibilité avec les valeurs du groupe d’appartenance;
- sa complexité;
- la possibilité de la tester;
- et sa visibilité pour montrer les résultats aux autres.
Le grand succès de ce modèle (voir Valente et Rogers 1995) tient bien sûr à la facilité avec laquelle on peut alors faire des recommandations, notamment pour chacune des cinq caractéristiques entrainant la persuasion : voir par exemple, Rogers (2002) sur la diffusion des innovations en matière de prévention contre les addictions.
Sur cette vidéo de 2014, E. Rogers présente l’ensemble des concepts de la diffusion des innovations (sous-titrage en anglais):
2. La courbe en « S » et la masse critique
Dans le temps, le taux d’adoption suit généralement une courbe en S (voir schéma ci-dessus); un concept largement utilisé aussi dans la théorie de l’innovation disruptive, voir Christensen (2015) dans Stratégies de rupture et innovation. Pour E. Rogers les usagers peuvent alors être rangés selon cinq profils types : les innovateurs, les premiers utilisateurs, la première majorité, la seconde majorité et enfin les retardataires. Dans une troisième version du modèle, E. Rogers a finalement intégré la notion de « réinvention » pour rendre compte de la manière dont les usagers peuvent aussi modifier le dispositif qu’ils adoptent (voir alors ici la théorie du Lead-user).
Pour la diffusion de nouveaux outils de communication en réseaux, ce sont alors les notions de masse critique (voir Malher et Rogers 1999, voir Gerbaix 1999) et plus généralement d’externalités de réseau (voir Corbel 2014) qui deviennent importantes et deux facteurs interviennent pour assurer un succès :
- l’accès universel bien sûr : plus il y a d’utilisateurs d’un outil de communication, plus on aura tendance à l’utiliser;
- mais aussi l’interdépendance réciproque : l’arrivée de nouveaux utilisateurs encourage les premiers utilisateurs à continuer d’utiliser l’outil.
3. D’un point de vue méthodologique
Il y a aussi une raison purement méthodologique qui a assuré le succès de ce modèle de la diffusion. On peut en effet chercher les disparités de diffusion suivant différents groupes sociaux (taux d’équipement différents, fréquences d’utilisation différentes…) et vouloir les expliquer en les reliant statistiquement aux variables sociologiques classiques des adoptants d’une innovation: leur âge, sexe, profession, revenu, habitat, famille, réseaux d’influence…
On peut alors chercher à prédire une variance dans l’intention d’adopter une innovation en fonction de différentes catégories sociales (mais le caractère très changeant des technologies rend en fait difficile une appréciation uniquement quantitative des différentes dimensions qui caractérisent des adoptants). Dans le cas de l’adoption des technologies d’information, voir par exemple le modèle développé par R. Agarwal et al. (1998) pour différencier les premiers adoptants et les derniers adoptants.
Comme le développe D. Boullier (1989), « ce modèle diffusionniste de l’innovation n’est pas recevable comme tel, mais ce n’est pas une raison pour oublier les questions importantes qu’il pose » : taux d’adoption, propension à l’innovation, canaux de diffusion, clusters d’innovation… Pour une tentative d’intégration théorique entre le niveau social (les discours et la contagion, basés sur cette théorie de la diffusion) et le niveau local (l’intention et les comportements, basés sur la théorie de l‘Action raisonnée), voir Tscherning (2011) à partir des travaux de J. Coleman:
Au final et pour tenter une synthèse, on peut proposer trois grands axes de recherche sur l’innovation:
- ici le modèle de la DIFFUSION, vue comme une sorte « d’épidémie », autour du concept de persuasion, mais aussi
- l’approche plus collaborative de l’innovation en RÉSEAU, où c’est la collaboration (en interne ou en externe) qui peut « faire prendre » l’innovation, qui est vue ici comme une sorte de « mayonnaise »: voir les théories de l’Acteur-réseau, de la Vision organisante, de l’Open innovation, du Lead-user ou de L’improvisation organisationnelle;
- l’approche plus stratégique du MODÈLE D’AFFAIRES, où l’innovation est vue comme une sorte de « disruption », pour agir sur de nouveaux marchés: voir les théories de la Rupture stratégique, des Écosystèmes d’affaires et des Capacités dynamiques
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Voir six autres cadres théoriques utilisés en Innovation
Voir la carte générale des théories en management des S.I.
RÉFÉRENCES
Everett Rogers (1995) Diffusion of innovations, The Free Press, New York
T. Valente, E. Rogers (1995), Paradigm as an Example of Scientific Growth, The Origins and Development of the Diffusion of Innovations, Science Communication,16:242
E. Rogers (2002), Diffusion of preventive innovations, Conference Addictions 2002, Eindhoven
A. Malher. E. Rogers (1999), The diffusion of interactive communication innovations and the critical mass, Telecommunications Policy n° 23
P. Corbel (2014), Le processus de diffusion des innovations dans la nouvelle ère numérique, Conférence AIMS
S. Gerbaix (1997), Logique d’adoption de la visioconférence, Systèmes d’Information et Management Vol. 2 n° 1
R. Agarwal et al. (1998), Early and Late Adopters of IT Innovations: Extensions to Innovation Diffusion Theory
D. Boullier (1989), Du bon usage d’une critique du modèle diffusionniste : discussion-prétexte des concepts de Everett Rogers, Réseaux, volume 7, n°36
H. Tscherning (2011), A Multilevel Social Network Perspective on IT Adoption, in IS Theory, chap.11
Voir une liste de recherches qui utilisent cette théorie, sur le site IS Theories
Diffusion of Innovations Theory