Les schémas
Théorie des perspectives (in Société générale, lien)
.
Aversion au risque et assurances (in Lemennicier, lien)
Principaux concepts
Les théories économiques comportementales se proposent d’analyser et de tester « en laboratoire » tous les biais qui remettent en cause une rationalité micro-économique purement calculatoire de la décision individuelle, en se référant aux modèles de la psychologie cognitive (voir la Dissonance cognitive et voir les Théories de la motivation), au calcul de probabilités (voir Modèles mathématiques de la décision) et aujourd’hui aux apports des Neurosciences.
On considère ici:
- non seulement nos limites cognitives (voir Rationalité limitée et nos émotions (voir Neurosciences);
- mais aussi que les fameuses fonctions de préférences du modèle de la micro-économie ne sont non seulement ni cohérentes ni stables, mais surtout qu’elles se définissent par rapport à autrui : voir la très claire conférence de M-C Villeval en 2017.
1. La théorie des perspectives face au risque – D. Kahneman
Cherchant ainsi à aménager dans un sens un peu plus réaliste l’hypothèse de base de la microéconomie (selon laquelle le comportement « rationnel » d’un agent économique consisterait toujours à optimiser une fonction d’utilité espérée), Tversky et Kahneman (1974) considèrent que cette utilité n’est pas une variable « objective et universelle » mais qu’elle est propre au comportement de chaque individu, qui utilise plus souvent le système 1 (intuition) que le système 2 (calcul):
Si les règles suivies par les individus ne sont certes pas « rationnelles », on considère ici qu’on peut quand même les identifier: il s’agit alors de modéliser les « anomalies » récurrentes dans le raisonnement d’un décideur et un biais très important semble tenir aux perspectives subjectives dans l‘aversion au risque (voir Martinez 2010) :
- les probabilités sont en fait déformées par leurs poids subjectifs : les petites probabilités sont en général survalorisées;
- l’évaluation est en fait relative au contexte : elle se fait par rapport à des niveaux de référence sociaux;
- il y a en fait une asymétrie dans cette évaluation : quand nous espérons un gain nous avons moins peur du risque, mais quand nous craignons une perte, nous survalorisons le risque (et ceci dès l’enfance, voir le test du Chamallow).
Pour cette construction d’une Théorie des perspectives face au risque, D. Kahneman a reçu le « Prix de la Banque de Suède en mémoire d’Alfred Nobel » en 2002 : voir Gollier et al. (2003) et voir cette vidéo très claire de D. Serra (2017).
2. Les biais cognitifs
En grande majorité nous choisirons de gagner 50 euros à coup sûr plutôt que 100 euros avec une chance sur deux, mais à l’inverse nous refuserons de perdre 50 euros à coup sûr tout en acceptant la probabilité d’une perte de 100 euros. Ces biais cognitifs, et en particulier cette aversion au risque de perdre, sont étudiés en laboratoire dans des situations expérimentales : des « jeux de gains et pertes probables » montrent alors le rôle du contexte émotionnel (voir Cassoti et al. 2012 et voir cette vidéo de l’ICM, Institut du cerveau et de la moelle épinière).
Analyse du biais de sur-confiance, dans le Journal du CNRS
Ces biais cognitifs peuvent être classés en au moins quatre catégories: les biais qui découlent de trop d’informations, de pas assez de sens, de la nécessité d’agir rapidement et des limites de la mémoire (écouter ici le Podcast d’Isabelle Huault dans l’exemple des décisions de fusions/acquisitions). Mais l’inventaire de tous les biais cognitifs semble en fait sans limites (l‘article Wikipédia sur le sujet en recense plus de 40 catégories : biais de confiance excessive, biais de confirmation des attentes, biais d’attention, de mémoire, de raisonnement, de personnalité, de conformité… voir aussi le site behaviouralfinance.net/), à tel point qu’une référence de départ au modèle micro-économique de calcul individuel semble pouvoir être totalement abandonné.
Contrairement à la Théorie des jeux (qui s’interesse à la décision en interaction de coopération), l’économie comportementale ne s’intéresse qu’à la décision individuelle. Mais sur la prise de risque dans une situation collective de groupe, S. Moscovici (1973) propose les éléments pour une « Théorie de l’engagement normatif ».
3. La théorie du Nudge, ou comment tirer avantage des biais cognitifs – R. Thaler
R. Thaler, considéré comme un des fondateurs de l’économie comportementale (voir Thaler et Benartzi, 2004), est connu pour ses études sur le rôle du Nudge, le léger « coup de coude » qui force l’attention et qui pousse à se décider « dans le bon sens » : en modifiant le contexte de l’évaluation, en proposant un choix par défaut, en suggérant des montants, en valorisant le choix des autres… :
- inscrire d’office à un plan d’épargne retraite (avec bien sûr la possibilité d’y renoncer) plutôt que de proposer un formulaire d’inscription à remplir: en dix ans la part des PER « automatiques » est passée de 8 à 58% aux Etats-Unis ;
- graver une mouche dans le fond des urinoirs d’un aéroport pour pousser les hommes à mieux « viser » pour l’atteindre: les dépenses de nettoyage auraient été réduites de 80% ;
- mettre en avant et en temps réel les économies réalisées, pour pousser à rouler moins vite ou à baisser des dépenses d’énergie…
Photo parue dans une présentation de C. Benavent 2015
R. Thaler a reçu, lui aussi, le « Prix de la Banque de Suède en mémoire d’Alfred Nobel » en 2017 (voir la vidéo de sa « Lecture »). Il revendique une vision à la fois paternaliste et bienveillante (orienter les individus dans une bonne direction) mais aussi libertaire (le coup de pouce du nudge doit être transparent et non fallacieux, ce sont bien les individus qui choisissent eux-mêmes et ils peuvent facilement revenir sur leur décision).
On comprend bien que les implications normatives sont importantes (pour la santé, le développement… mais aussi bien sûr pour le marketing et la finance). Mais le nudge n’est-il pas une technique de manipulation furtive, pour compenser l’absence de motivation ou d’engagement ? (voir Théories de la motivation et voir Mols et al. 2014). Hansen et Jespersen (2013) proposent alors de distinguer quatre types de nudges, suivant qu’ils sont ou non transparents et suivant qu’ils font appel à la logique ou à l’émotion.
Mais faut-il chercher à valoriser le conformisme social? Et au final qui peut etre autorisé à « orienter » ainsi nos choix? Le débat éthique (voir Le numérique et l’éthique de la vertu personnelle) oppose ici les enthousiastes du marketing (voir par exemple cet entretien) et les critiques d’un soi-disant « intérêt général » (voir par exemple cet article dénonçant les manipulations):
- pour une analyse du rôle plus politique des nudges et des biais, voir Benavent 2015 et Benavent 2016;
- et pour une critique plus épistémologique de l’économie comportementale voir J-M Servet 2018.
.
Voir les autres théories utilisées dans le développement des SI
Voir la carte générale des théories en management des S.I.
RÉFÉRENCES
A. Tversky, D. Kahneman D. (1974), Judgment under Uncertainty: Heuristics and Biases, Science, New Series, Vol. 185, No. 4157
R.Thaler, S. Benartzi (2004), Save More Tomorrow : Using Behavioral Economics to Increase Employee Saving, Journal of Political Economy, Vol 112, n° 51
Gollier, C., Hilton D., Raufaste É. (2003). Daniel Kahneman et l’analyse de la décision face au risque. Revue d’économie politique, vol. 113, (3)
Martinez F. (2010). L’individu face au risque : l’apport de Kahneman et Tversky. Idées économiques et sociales, 161(3)
F. Mols, S. Haslam, J. Jetten, N. Steffens (2014), Why a nudge is not enough: A social identity critique of governance by stealth, European Journal of Political Research Vol 54, N°1
P. Hansen, A. Jespersen (2013), Nudge and the Manipulation of Choice, European Journal of Risk Regulation n°1
J-M Servet (2018), L’économie comportementale en question, Éditions Charles-Léopold-Maye. Note de lecture de G. Vallet dans la Revue Interventions économiques
C. Benavent (2015), Nudges : l’individu, la population et le politique, post de Blog
C. Benavent (2016), Big Data, algorithmes et marketing : rendre des comptes, Statistique et société, Vol. 4, N° 3
Moscovici S. (1973), Introduction à la psychologie sociale, Larousse, Chapitre 4, pp. 114-134