Schémas
Schéma de la co-innovation (Gambardella, Raasch, Von Hippel 2015)
Distinction entre Lead user et innovateurs (Bécheur et Gollet 2006)
Définition des principaux concepts
1. Qui sont les lead-users ?
Les lead-users ne sont pas des premiers adoptants au sens de Rogers (voir Théorie de la diffusion des innovations), ce ne sont pas non plus des leaders d’opinion, au sens du marketing. Les mots qui conviendraient en français seraient plutôt pionniers, bricoleurs-experts, avant-gardistes.
Eric von Hippel (1986) définit ces utilisateurs-pionniers, ou donc lead-users, comme « des utilisateurs experts, à l’avant-garde d’un domaine, ayant intérêt à ce qu’il évolue pour répondre à leurs attentes et imaginant des solutions pour améliorer les produits existants ». Von Hippel emploie aussi l’expression user/self-manufacturer. Ces pionniers bricoleurs collaborent entre eux, répliquent et améliorent leurs productions dans une logique de diffusion de pair à pair (copie, reproduction, amélioration collaborative). Ils sont donc souvent sans protection intellectuelle et s’ils offrent leurs créations à des producteurs c’est parce qu’ils souhaitent surtout qu’elles soient produites pour tous.
Aucun individu n’est donc pas un lead-user dans l’absolu, il ne l’est que par sa position d’avant-garde dans son domaine particulier (c’est ainsi que les boot-straps sur une planche à voile, inventés sur la plage avec deux lanières et un peu de colle, ont élargi ce sport à de nouveaux publics). Pour Bécheur et Gollet (2006), ces pionniers sont des avant-gardistes, à la pointe dans un domaine et qui développent des attentes avant la majorité des utilisateurs. Impliqués durablement, ce sont des experts ayant une large connaissance du domaine et une forte familiarité en terme d’utilisation d’un produit. Ils ont une forte motivation interne, liée à cet intérêt pour l’amélioration dans leur propre utilisation.
2. Quelles sont les motivations des lead-users ?
Afin de répondre à leurs besoins fortement hétérogènes, les utilisateurs-pionniers, insatisfaits des produits et services existants sur le marché, ont envie de développer leurs propres produits ou services (Gharbi 2016). Les exemples sont nombreux et dans de nombreux domaines : médecine, sport, produits pour enfants, électronique… (Guillaud, 2012). Von Hippel cite l’exemple des plus importantes innovations relatives aux instruments scientifiques et aux semi-conducteurs : près de 80% des créateurs seraient en fait des lead-users (Von Hippel, 1986).
Ce que montrent J. Maric et al. (2016) avec l’impression 3D, c’est que le coût de l’innovation ne cesse de se démocratiser dans les ateliers de oc-working (les Fablabs) et que les lead-users, aujourd’hui devenus des makers, sont alors prêts à innover, même si leurs bénéfices financiers attendus sont relativement peu importants (Von Hippel 2001) : la satisfaction de nouveaux besoins demeure le but ultime de leur engagement dans l’activité de création et d’innovation (voir Bécheur et M. Gollety, 2007).
3. Implications pour les entreprises: en recherche-développement et en marketing
E. von Hippel (2013) parle d’un « nouveau paradigme »: depuis l’innovation centrée sur les producteurs, vers une innovation centrée sur les utilisateurs (bottom-up). D. Cardon (2006) parle d’innovation « ascendante » et d’innovation « par l’usage ». En tout cas la théorie du lead-user vient remettre en cause les méthodes classiques de développement de nouveaux produits (qui étaient essentiellement basées sur des études de marché : questionnaires, entretiens, analyses…): si le lead-user devient une source principale d’information pour l’innovation, alors les entreprises doivent gérer des processus de développement des produits qui intègrent une évaluation systématique des innovations générées par ces visionnaires, le crowdsourcing par l’intermédiaire des plateformes en est une des formes (voir Gharbi 2016).
Pour A. Bécheur et M. Gollety (2007) « les innovations dont les lead-users sont à l’origine sont caractérisées par le fait que le besoin et la solution sont co-présents dans le contexte d’utilisation. Par conséquent, il est difficile pour les industriels de repérer ces innovations. L’enjeu pour les entreprises est sans nul doute de mettre en place des mécanismes d’incitation ou des structures facilitant un transfert de l’information, ces mécanismes ayant pour objectif de repérer les idées nouvelles, de les reconnaître et de valoriser ainsi les efforts des usagers ». On peut alors parler de co-conception ou conception participative.
Dans une vision plus marketing, Leclercq et al. (2016) définissent alors la co-création de valeur : « Un processus conjoint durant lequel la valeur est créée réciproquement pour chacun des acteurs (individus, organisations ou réseaux). Ces acteurs s’engagent dans le processus en interagissant et en échangeant leurs ressources. Les interactions ont lieu sur une plateforme d’engagement où chaque acteur partage ses propres ressources, intègre les ressources proposées par d’autres acteurs, et développent potentiellement de nouvelles ressources à travers un processus d’apprentissage ».
Pour une discussion sur les théories de l’innovation, et notamment sur les liens entre Lead-user et La théorie de l’Open Innovation, voir Badillo (2013).
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Voir les autres théories utilisées dans le développement des SI
Voir la carte générale des théories en management des S.I.
RÉFÉRENCES
E. Von Hippel (1986). Lead users: a source of novel product concepts. Management Science Vol. 32, No. 7
E. Von Hippel, Thomke S., Sonnack M. (1999). Creating Breakthroughs at 3M. Harward Business Review, September–October p. 1-15
E. Von Hippel (2001), Innovation by User Communities, Lerning from Open-Source, Sloan Managment Review
E. Von Hippel (2013), User Innovation in LEADING OPEN INNOVATION sur Books.Google
H. Guillaud (2012). Von Hippel : le paradigme de l’innovation par l’utilisateur, InternetActu 28/6/2012
J Maric, F Rodhain, Y Barlette (2016), Frugal innovations and 3D printing: insights from the field, Journal of Innovation Economics & Management, 21,(3)
A. Bécheur, M. Gollety (2007). Comprendre les motivations des lead users à inventer de nouveaux produits. Congrès de l’AFM
A. Bécheur, M. Gollety (2006). Validation d’une échelle de mesure du lead user. Revue Française du Marketing 206, 29-39
P-Y Badillo (2013), Les théories de l’innovation revisitées : une lecture communicationnelle et interdisciplinaire de l’innovation – Du modèle « émetteur » au modèle communicationnelle. Les Enjeux de l’Information et de la Communication, vol 1, n° 14
T Leclercq, W Hammedi, I. Porcin (2016), Dix ans de co-création de valeur: une revue intégrative, Recherche et Applications en Marketing, 1-38
R. Gharbi (2016), Théorie du Lead-user, Chapitre 3 de la thèse « Le rôle des communautés virtuelles d’intérêt dans la communication et la co-création de valeur pour les innovations », Université de Montpellier, en ligne