Le schéma général
Définition des principaux concepts
1. Le conflit est un mode normal de coordination, et un mode de production des règles
Le conflit est en fait un mode de fonctionnement de la coordination entre les acteurs ou entre les règles (Reynaud 2005) :
- d’un coté les dirigeants mettent en œuvre des « régulations de contrôle« , des règles de travail le plus souvent formelles et qui sont le plus souvent produites en dehors des groupes professionnels. Mais il est quasiment impossible de respecter ces consignes, la grève du zèle l’ illustre bien : si tous les travailleurs suivent les règles imposées, la production se bloque;
- d’un autre coté, ces mêmes groupes professionnels produisent eux aussi des « règles autonomes » de travail (le plus souvent informelles) à partir de leur savoir-faire et de leurs pratiques d’usage. Mais ces règles autonomes ne sont pas nécessairement « déviantes », elles peuvent aussi corriger ou compléter la régulation de contrôle.
Le conflit est donc la source normale de production de règles : c’est un processus de recadrage des différents intérêts (voir Averseng 2011), bien au delà d’une « résistance au changement ». Voir aussi cette vidéo de A. Dudezert (2018), qui parle alors d’un nécessaire « management des controverses » dans le processus d’appropriation des outils de gestion : Lien vers Fnege-Médias
2. Le processus de stabilisation est nécessairement provisoire
Ce processus de stabilisation doit passer par deux phases :
- une première phase de négociation organise provisoirement l’inégalité des rapports de force, autour d’une zone de convergence acceptable. La négociation nécessite l’échange, l’effort, les concessions (« Bon, on ferme les yeux… » ou bien « OK, dans un premier temps… ») et un compromis provisoire mais suffisamment cohérent. La négociation permet cet ajustement mutuel, non pas uniquement en amont mais au cours même de l’action. Elle permet aussi de créer le lien social (voir le lien fort avec le processus d’action sur les règles dans la Gouvernance polycentrique de E. Ostrom) ;
- une deuxième phase de légitimation suit cette négociation. La règle négociée est alors légitimée (elle peut être tacite ou explicite, pratique ou symbolique, formelle ou informelle). « Il y a tout un domaine de régulations conjointes, créant une légitimité localisée mais suffisamment générale et durable pour expliquer beaucoup de règles de détail et de comportements » (Reynaud 1973). Si des règles étaient imposées (sans négociation et donc sans légitimation) ce serait une forme de dérégulation qui serait en fait une déstabilisation (voir le lien fort avec la Théorie des conventions).
3. L’empilement des différentes règles : la régulation autonome permet l’appropriation
Ce processus continu de régulation conflit/négociation/légitimation conduit à un empilement ou une combinaison de pratiques et de règles plus ou moins équivoques (et même le plus souvent en concurrence) car elles sont de natures différentes, d’époques et d’inspirations différentes. J-D Reynaud donne quelques conditions d’appropriation des règles :
- la règle, pour être appropriée, doit être rapportée aux fins d’une action commune, d’un projet commun qui lui donne un sens et rend possible l’action collective : d’un coté “Il n’y a pas de règles sans projet”, mais aussi « on peut faire quelque chose ensemble avec des objectifs différents« :
- la règle comprend une part héritée (voir Apprentissage organisationnel), c’est-à-dire qu’elle s’incarne dans des dispositifs, des outils, des objets de gestion, des règles juridiques, des procédés, des techniques… « sans que les acteurs en aient nécessairement conscience » ;
- l’incomplétude irrémédiable des régulations de contrôle ouvre la voie aux régulations autonomes développées par les acteurs eux-mêmes. Les règles autonomes s’inscrivent dans les failles de la régulation de contrôle et ce sont elles qui permettent au contrôle de fonctionner correctement. C’est donc en fait la régulation autonome qui permet à la régulation de contrôle d’être appropriée (Reynaud 1988). Sur le rôle des régulations autonomes dans l’appropriation des outils de gestion, voir Quemener et Fimbel (2012).
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On privilégie ici l’individu agissant, qui prend des décisions sociales : « l’action sociale est une interaction réglée et finalisée » et ce sont ces interactions réglées qui forment système (voir les liens avec l’Analyse stratégique des jeux d’acteurs et la Théorie de la structuration). Il faut partir « non d’une régulation générale de la société, mais d’un ensemble, ni cohérent ni continu, de régulations conjointes ponctuelles par des acteurs sociaux ». Pour G. de Terssac (2012) : « La TRS est une réponse à la vision classique de l’organisation comme un tout unifié avec des buts « prédéterminés » et des méthodes préposées ; la TRS s’oppose à l’idée d’un déterminisme et s’oppose à l’hégémonie d’une rationalité unique de l’optimisation ».
Malgré la modestie de Jean-Daniel Reynaud, la TRS représente une troisième voie dans l’analyse des organisations: ni autour de la « rationalité » des individus, ni autour de l’imposition des « normes sociales », mais autour d’acteurs qui produisent eux-mêmes un « système de règles » dont ils acceptent (au moins pour un temps) les contraintes pour pouvoir agir ensemble. Jean-Daniel Reynaud est décédé le 27 janvier 2019, de nombreux auteurs lui ont rendu hommage, voir Y-F Livian, voir D. Segrestin. et voir ces contributions très éclairantes (2020) de sept auteurs « en hommage à Jean-Daniel Reynaud » .
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Voir les autres théories utilisées dans le contrôle des S.I.
Voir la carte générale des théories en management des S.I.
RÉFÉRENCES
Note importante. Si vous avez accès à la base bibliographique CAIRN, on y trouve 30 contributions qui forment l’ouvrage « La théorie de la régulation sociale de Jean-Daniel Reynaud » (2003, La Découverte) sous la direction de G. de Terssac
Jean-Daniel Reynaud (1973), Conflit et régulation sociale. Esquisse d’une théorie de la régulation conjointe. Revue française de sociologie, 20-2
J-D Reynaud (1987), Les règles du jeu : L’action collective et la régulation sociale, note de lecture des étudiants MIP du Cnam
J-D Reynaud (1988), Les régulations dans les organisations : régulation de contrôle et régulation autonome, Revue française de sociologie vol 29 n°1
J-D Reynaud (1991), Pour une sociologie de la régulation sociale, Sociologie et sociétés, vol. 23, n° 2
G. de Terssac (2012) La théorie de la régulation sociale : repères introductifs. Revue Interventions économiques, n° 45
J.P. Bréchet (2008), Le regard de la théorie de la régulation sociale de Jean-Daniel Reynaud, Revue française de gestion n° 184
Y. Quemener, E. Fimbel (2012), Mise en œuvre, usages et appropriation des outils de gestion: apports de la théorie de la régulation sociale. Comptabilités et innovation
C. Averseng (2011), Règles et régulations, l’apport de J-D Reynaud, Chapitre 2.2 de la thèse « Management des processus et réduction de l’équivocité », Université de Montpellier