Le schéma
Définition des principaux concepts
L’Agir communicationnel nous permet d’être “rationnels en communication”. La « pensée critique » développée par Jürgen Habermas (1993) veut renouveler l’idéal de la Raison dans les sociétés démocratiques, où les individus peuvent constater qu’ils partagent au moins quelque chose : le fait de pouvoir vivre dans une sorte de communauté d’interprétations (voir Habermas 1981) et voir Le numérique et l’éthique déontologique.
Face aux insuffisances d’une démocratie représentative, une démocratie délibérative (voir Habermas 1992, en français) repose alors sur la « discussion rationnelle » au moyen d’un certain nombre de règles : une rationalité communicationnelle et des procédures éthiques de décision par consensus légitimé.
En donnant la priorité aux règles de la communication on s’oppose ici aux théories qui mettent en avant le canal, le feedback, le langage, ou le contexte.
1. L’Agir communicationnel nous permet d’être “rationnels en communication”
Au delà des classiques rationalités de l’agir instrumental et de l’agir stratégique (qui sont liés à la recherche de résultats individuels), l’Agir communicationnel est lié à la façon d’être ensemble par le langage (une rationalité qui est « au service » des résultats, voir Calori 2003 et voir Pesqueux 2015 ):
- à un premier niveau, le « dissensus » peut être maximum sur les propositions: accords-désaccords, concessions-réfutations, critiques-justifications, parce que…
- à un deuxième niveau, l’entente se réalise sur les normes de l’échange, sur une déontologie procédurale: principes de délibération, volonté de s’accorder sur un consensus provisoire, respect d’une éthique de la discussion et garantie de pouvoir rediscuter ultérieurement (voir Duchamp et Koehl 2008);
- un individu est alors « rationnel en communication » s’il peut justifier son comportement dans la communication par quatre types de « prétentions à la validité » : validité par l‘intelligibilité, validité par la logique, validité par la justesse vis à vis de la communauté sociale, et validité par la sincérité des expériences vécues ( voir l’analyse de Rowe 2009 sur les théories critiques en S.I.).
2. Éthique de la discussion et procédure délibérative : la décision par consensus légitimé est un mode de coordination dans les organisations.
« La perspective de l’éthique de la discussion a l’avantage de pouvoir spécifier les présuppositions de la communication qui doivent être satisfaites dans les différentes formes d’argumentation et de négociation, afin que les résultats de telles discussions puissent se prévaloir pour eux-mêmes de la présomption de rationalité » (Habermas 1992, page 181, en français).
Le consensus légitimé apparaît alors comme un mode de coordination non autoritaire, basé sur le consentement. Il est certes impossible de poursuivre une discussion jusqu’à ce qu’un accord général soit atteint, mais l’essentiel est que la décision prise soit légitime, c’est à dire légitimée par la procédure éthique de discussion qui a été suivie (voir Jaffro 2001) :
- dans un consensus il ne peut pas y avoir d’unanimité; et il n’y a ni compromis, ni vote. C’est en fait la constatation collective d’un consentement qui tient alors lieu de règle d’arrêt de la discussion, par la reconnaissance mutuelle de l’absence de nouveaux désaccords exprimés (voir Urfalino 2007);
- la rationalité tient ici à la procédure délibérative (comment les problèmes ont-ils été formulés, comment les solutions ont-elles été évaluées). La rationalité vient du trajet collectif qui avait été suivi pour établir l’acceptabilité (voir Gouvernance polycentrique des biens communs). C’est par exemple la procédure des Cheap talk dans la gestion des biens communs (voir Ostrom 2009), la procédure Request of comments dans les consortium d’Internet (voir IETF 1998), ou la procédure des pages de discussion sur Wikipédia, ou la procédure de classification collaborative des signets dans les “floksonomies”…
- la décision par consensus légitimé peut même devenir le mode principal de coordination dans les organisations dé-hiérarchisées (pour un management sans managers : voir Hamel 2011, voir Fallery 2016 et voir des exemples sur le site 4tempsdumanagement).
Pour une théorie de la délibération publique, voir Manin 1985 ( » la décision légitime n’est pas la volonté de tous, mais celle qui résulte de la délibération de tous« ), voir Callon et al. 2005 sur les forums hybrides (« beaucoup de travaux en science politique ont montré que le travail politique ne conduisait pas à régler les problèmes, mais à les transformer…) et voir Sintomer 2011 sur la démocratie délibérative (« l’essentiel de ce qui se joue dans la délibération publique est peut-être le cadre normatif qui surgit de l’interaction « ).
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Voir les autres théories utilisées dans le développement des SI
Voir la carte générale des théories en management des S.I.
RÉFÉRENCES
Habermas J. (1981), The theory of communicative action, Beacon Press Boston, 463 pages
Habermas J. (1993), Droit et Démocratie, entre faits et normes, Paris Gallimard, Fiche de lecture des étudiants MIP du Cnam.
Elinor Ostrom (2009), Par-delà les marchés et les états, la gouvernance polycentrique des systèmes économiques complexes, Conférence Stockholm, avec l’autorisation de la Fondation Nobel
Calori R. (2003), Philosophie et développement organisationnel : Dialectique, agir communicationnel, délibération et dialogue, Revue française de gestion, 2003/1 no 142, p. 13-41.
Pesqueux Y. (2015), J. Habermas et l’“ Agir communicationnel ”, HAL
Duchamp D., Koehl J. (2008), L’éthique de la discussion au service de la performance organisationnelle, Revue internationale de psychosociologie et de gestion des comportements organisationnels, 2008/34 Vol. XIV.
Jaffro L. (2001), Habermas et le sujet de la discussion, Cités, 2001/1 n° 5, p. 71-85,
Urfalino P. (2007), La décision par consensus apparent. Nature et propriétés, Revue européenne des sciences sociales, XLV-136
Rowe F. (2009), Les approches critiques en Systèmes d’Information : de la sociologie de la domination à l’éthique de l’émancipation, Congrès AIM 2009
Hamel G. (2011), First, Let’s fire all the managers, Harvard Business Review, 89, no. 12: 48-60.
Fallery B. (2016), Du logiciel libre au management libre : coordination par consensus et gouvernance polycentrique, Management et Avenir n°90, pp 127-150
IETF (1998) RFC, Guidelines and Procedures
Manin B. (1985), Volonté générale ou délibération? Le débat n°33
Callon, M., Barthe, Y. (2005). Décider sans trancher: Négociations et délibérations à l’heure de la démocratie dialogique. Négociations, no 4(2),
Sintomer, Y. (2011). Délibération et participation : affinité élective ou concepts en tension ? Participations, 1(1)